POUR MON ENTERREMENT

Je souhaite que le jour de ma crémation, au crematorium d’Herlies,
soient diffusées, dans l’ordre indiqué ci-dessous, 3 chansons :

  1. « t’en as » de Leo Ferré dont les paroles et la musique devraient donner un air d’humour et de fraicheur.
  2. « ma France » de Jean Ferrat, chanson longtemps interdite et encore inconnue
    qui traduit bien ce qu’est le pays qui a accueilli et donné à manger à mes ancêtres immigrés
  3. « dù qui sont ? » un poème de Guy Dubois[1] chanté par Renaud. C’est en patois et c’est un hommage aux mineurs et une œuvre de transmission
    - j’aurai pu ajouter  « quand on n’a que l’amour » de Brel que j’écoutais en boucle lorsque j’ai connu Chantal.

Je souhaite que mes cendres soient dispersées aux pieds des 2 terrils jumeaux de Loos en Gohelle dans le site du 11-19 où est installée « culture commune ».

Là, dans cette ville exemplaire, je serai prés de la rue st pierre et, je l’espère, inscrit au patrimoine mondial de l’humanité; et aussi prés de l’ami vert Jean François Caron !

Je souhaite qu’après avoir dispersé mes cendres, vous preniez le temps de prendre un verre et un casse-croûte si le cœur vous en dit, en parlant un peu de moi mais surtout de l’avenir,

bon vent à toutes et tous , je vous Aime

Gérard le 18 Aout 2009

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Mathias :

Je voudrais ajouter que les cendres de mon père ne seront pas dispersées aujourd’hui, [9 novembre] mais dans un proche avenir. Ce qui nous donnera l’occasion de nous réunir à nouveau. Par contre, vous êtes tous conviés à prendre un verre [...] rue manuel chez Gérard et Chantal après cette cérémonie.

Vous pouvez écrire à Mathias à cette adresse :



Notes

[1] « du qui sont ? » : paroles poème : Guy Dubois - musique :Simon Colliez


PAGE BLANCHE

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A vous, toutes et tous
qui avez connu Gérard,

Au commencement, entre lui et moi, était le cinéma, qui fut pour nous la première chance de vibrer ensemble. Le cinéma, arrosé de cabernet d'Anjou de la maison LLUCH ; le cinéma, en spectateurs de plus en plus actifs, qui commencent, le cœur battant à en parler à voix haute au milieu d'un public puis qui poursuivent, la sueur au front, avec Juan Antonio BARDEM et avec Andrei WAJDA, avec « La mort d'un cycliste » et « Une fille a parlé » en se lançant la tête la première dans l'animation de discussions de ciné clubs prolongées en débats de bistrot et en aller retour nocturnes, passés à arpenter les trottoirs lensois, histoire de s'épuiser dans des échanges passionnés, autour de films décortiqués jusqu'à la moelle.

C'est avec le cinéma que notre histoire vivante s'achève, puisque les derniers mots que nous avons échangés furent pour un fils, acteur dont il était si fier de me recommander le prochain téléfilm, ou de m'annoncer un futur rôle.Le cinéma, qui s'était immiscé ainsi au cœur de sa famille, dont je connus le tout début, puisque je conduisais la 2 CV qui les emporta, CHANTAL et lui, en un voyage de noces partagé sous la tente, en tout bien tout honneur, et sous la pluie battante d'une Auvergne accueillante.

Entre deux, il y eut bien des éloignements, choisis ou imposés par les vies qui vont et viennent, tant d'indignations et d'emballements communs, de coups de pouce donnés de l'un à l'autre, tant d'actions jumelles et militantes, que, dans les premiers temps, on ne pouvait souvent pas voir l'un sans voir l'autre, inséparables jumeaux de l'éducation populaire et défricheurs de formation d'adultes à coup d'entraînement mental en pays minier, au cœur des années 60.

C'est ainsi que nous avons avancé, de dénonciation des injustices sociales et culturelles en engagements politiques, « à gauche toute »; de répulsion envers l'armée, en porte-voix du message pacifiste des Auberges de jeunesse ; d'Hippodrome en M.J.C. ; de Gayolle en Rose des Vents, de Lewarde en Wagnonville, d'universités de Peuple et Culture en réunions innombrables, préparatoires au lancement de multiples stages colloques ou festivals en hommage aux travailleurs, dont CHANTAL peignait les affiches; toujours allant par monts et par vaux jusqu'au CUEEP de Sallaumines-Noyelles, la CUEEP pour les intimes, et sa fantastique Action collective de formation, qui introduisait la dimension universitaire en milieu ouvrier, sacré pari rendu possible, à partir du centre névralgique de « l 'Auberge du stade », par les milliers d'heures bénévoles accumulées auparavant en compagnie de quelques héros du développement culturel en région Nord, parmi lesquels Fred THEBAUD, exemple par excellence du militant laïc à la française.

Mais nous allâmes aussi chacun notre chemin, pour nous retrouver en fin de course au cœur de l'impensable espoir de faire du bassin minier une vedette de l'UNESCO. Gérard n'en verra pas l'apothéose à venir, mais il sera là, avec nous, le jour venu, avec tout son passé d'acteur, avec ses cendres aussi, qu'il offre dès aujourd'hui aux terrils de son enfance, ceux de Loos-en-Gohelle, à deux jets de gaillette des corons lensois de sa cité de naissance, numérotée 14.

Il y a quelques mois à peine, nous envisagions encore d'écrire ensemble, enfin, ce qui nous fut commun, jusqu'à ce tourbillon au long cours que demeure « Mémoires de Mine » à Noyelles, qu'il suivait avec émotion et dont il anima une somptueuse rencontre en Mars dernier, qui fut peut-être la plus belle, sans savoir que ce serait la dernière. Nous nous en réjouissions. Mais la maladie qui m'a frappé à plusieurs reprises et dont il s'est tant soucié, ne l'a pas épargné et nous prive à jamais d'une ultime production commune.

Heureusement Gérard a beaucoup écrit,dont un texte qu'il nous offrit, en 1990, témoignage sur sa vie alors quinquagénaire. Il y exprime ce qui touche au meilleur de lui-même. C'est le récit d'une montée en puissance, en forme de revanche, sur le sort d'un fils d'immigrés ballottés par la guerre, fils de la mine et du textile, du Racing Club de Lens et des « 400 coups » de François TRUFFAUT. Revanche d'un jeune homme aux origines d'apparence modestes, mais qui étaient faites d'un humus si riche qu'elles lui ont permis de développer un destin porteur de fruits multiples qui ont nourri ses enfants, NATHALIE, MATHIAS, STéPHANE, puis ses petits enfants et bien des écoliers, étudiants, hommes et femmes adultes toujours en devenir, ayant soif de se cultiver et de se former à ses côtés, apprenants de passage ou amis au long cours, qui te porteront en eux, Gérard, jusqu'à leur propre mort.

Bernard Lluch


HOMMAGE DE NATHALIE MLEKUZ

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Je ne savais pas que mon père allait mourir si vite.
Le mot “cancer“, bien sûr, voilait l’horizon. Mais je pensais qu’il traverserait au moins les trois semaines de chimiothérapie et que nous saurions, alors, si le traitement allait ou non pouvoir le guérir.
Je n’ai eu aucun pressentiment, aucune intuition le jour de sa mort mais il s’est tout de même passé, la veille, quelque chose de troublant. J’avais, ce jour, là, commencé la lecture d’un livre intitulé “L’usure des jours“,écrit par Lorette Nobécourt. Dans ce livre, l’écrivaine évoque son père en disant de lui : “Je n’ai jamais senti sa main posée dans mes cheveux, il ne m’a jamais prise dans ses bras, ni embrassée, je n’ai pas le souvenir d’un seul geste tendre de sa part.“.
J’avais songé en parcourant ces lignes que j’avais été mieux lotie qu’elle, que mon père n’était pas non plus, quand j’étais enfant, un père très tendre, je crois qu’il ne savait pas, qu’il ne pouvait pas l’être, parce qu’il n’avait pas lui-même reçu beaucoup de tendresse. Il exprimait peu son affection mais j’ai tout de même le souvenir qu’il passait parfois maladroitement sa main dans mes cheveux. Je me rappelle aussi qu’il m’avait un jour rapporté d’un voyage en Hollande un petit coffret en bois peint. Il n’était pas indifférent, je savais qu’il m’aimait, juste il n’était pas très présent. Son regard, comme beaucoup d’hommes de cette époque, était surtout tourné vers son travail et ses activités militantes. Exister socialement était pour lui fondamental. Il venait d’un milieu ouvrier, marqué par l’exil, le déracinement. Je me souviens qu’il avait recopié dans l’un de ses carnets une phrase du roman de Kundéra, L’insoutenable légèreté de l’être, une phrase où l’héroïne principale, qui avait quitté la Tchécoslovaquie pour la France, redoutait en permanence qu’on lui dise retourne d’où tu viens. C’était aussi l’une de ses peurs et exister socialement était pour lui l’unique façon de conjurer cette profonde inquiétude, d’acquérir une légitimité à être là. A défaut de m’avoir donné la tendresse et l’attention que j’aurais aimé recevoir, mon père m’a ouvert les portes du monde des arts. Ce dont, sachant d’où il venait, je lui suis profondément reconnaissante. Lorsque nous vivions à Sallaumines et que, en tant que conseiller municipal, il s’occupait de la culture, il invitait souvent des artistes à la maison, il m’a aussi transmis son goût pour le cinéma et j’ai grandi entourée de livres, de disques et de tableaux peints par des artistes contemporains.

Dans ce livre que je lisais la veille du jour de la mort de mon père, après ce passage où elle évoque ce père si dur, Lorette Nobécourt raconte ensuite qu’elle a une nuit rêvé que son père était comme elle aurait aimé qu’il fût : tendre, protecteur et doux. Et que le lendemain matin c’était comme si une violence horriblement enfouie l’avait quittée. Elle avait dès lors trouvé assez de force et d’amour en elle, pour couvrir son père, alors âgé de 90 ans, de sa propre tendresse. Et c’est avec douceur et bienveillance qu’elle était arrivée enfin à le prendre dans ses bras.
Ces lignes m’avaient beaucoup touchée et m’avaient paru m’indiquer un chemin. C’était la seule chose qu’il me restait à faire : envelopper mon père de toute la tendresse dont j’étais capable. Et j’ai, la nuit qui a suivi, fait un rêve qui évoquait clairement l’idée d’une profonde réconciliation.
Je ne pourrais jamais prendre mon père dans mes bras et l’envelopper de ma tendresse. La vie ne m’en a pas laissé le temps. Mais le fait que cette idée ait germé dans mon cœur, que cette réconciliation symbolique ait pu avoir lieu la veille du jour de sa mort m’apparaît comme un véritable cadeau et me laisse un profond sentiment d’apaisement.
Même si son départ est violent parce qu’il ne nous a guère laissé le temps de nous dire au revoir, même si ma tristesse est grande, je suis malgré tout heureuse qu’il ait cessé de souffrir et qu’il ne soit pas mort, comme la majorité des gens à l’heure actuelle, dans la chambre anonyme d’un hôpital, il est mort chez lui, dans son lit, dans sa chambre, entouré des objets qui lui étaient familiers.

Je tiens aussi à remercier ma mère qui a eu la présence d’esprit de refuser la trachéotomie censée permettre un transfert plus qu’incertain et, forcément douloureux vers l’hôpital. Le médecin assurait que mon père n’était plus en état de choisir. Ma mère, elle, a considéré qu’il était capable jusqu’au bout de décider de ce qui le concernait. Elle lui a demandé de lui serrer la main s’il préférait ne pas retourner à l’hôpital. Alors qu’il devait mourir quelques instants plus tard, mon père a trouvé la force de serrer à deux reprises la main de ma mère, lui confirmant qu’il voulait rester chez lui. Un acte qui me paraît d’une très grande dignité.
L’écrivaine Virginia Woof assure que ceux qui meurent permettent à ceux qui restent d’être davantage dans la vie, c’est ce que je nous souhaite à tous.



"T'en as" Léo Ferré


"Ma France" de Jean Ferrat

Dû qui sont par Renaud
Paroles : Guy Dubois. Musique : Simon Colliez


"Quand on a que l'amour" de Jacques Brel


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